Insectes 16 n°133 - 2004 (2)
Le Sphinx livournien a été observé pour la
première fois dans le département.
Par Nicole Lepertel, Philippe Guérard et Jean-Paul Quinette .
Clichés Jean-Paul Quinette
Les visiteurs de l’été
Dans le département de la
Manche comme ailleurs, la cani-
cule de l’été 2003 restera proba-
blement dans les mémoires. Si
elle fut éprouvante pour les
hommes, elle aura été très favo-
rable aux papillons migrateurs.
Ainsi, on a pu assister à une
extraordinaire remontée d’espèces
méridionales qui font habituelle-
ment de timides apparitions
sous nos latitudes. Cet événe-
ment n’est pas passé inaperçu, il
a même été relaté dans la presse
et à la télévision !
Le Sphinx du liseron, visiteur vedette de l’été
2003 dans le département de la Manche.
LA FAMILLE DES SPHINX
Avec leur corps robuste et leurs
ailes longues et étroites, les repré-
sentants de la famille des Sphinx
sont sans conteste des longs-cour-
riers. Originaires dAfrique, ils re-
montent dès le printemps dans le
Sud de la France où ils produiront
une première génération qui, à son
tour, migrera plus au Nord, pas-
sant même la Manche et la Mer du
Nord. Ce phénomène se produit
tous les ans, mais il a été décuplé
par la chaleur et on a pu assister à
une explosion des populations.
Le Sphinx du liseron
La vedette de l’été revient au
Sphinx du liseron, Agrius convolvuli
Hübner, qui a littéralement envahi
notre région dès le début juillet jus-
qu’aux premières gelées d’octobre !
Vous ne pouvez pas l’avoir remar-
qué, posé sur un mur au petit ma-
tin ou butinant les fleurs de sa
trompe démesurée. On l’a parfois
pris pour une chauve-souris volant
autour d’un lampadaire ! Un habi-
tant de Coutances en a vu des di-
zaines d’individus sur un acacia de
son jardin. À Avranches, fin oc-
tobre, on trouve ses grosses che-
nilles brunes ou vertes dévorant les
dernières feuilles de liserons avant
de s’enterrer. Mais elles ne survi-
vront pas à un hiver rigoureux.
Le Moro sphinx
Le Moro sphinx, Macroglossum stel-
latarum Linné, a fait également
une arrivée remarquée. Tout le
monde l’a vu butiner pétunias ou
fuchsias et, bien qu’il soit présent
tous les ans, certains ne le connais-
saient pas et restent même persua-
dés d’avoir des oiseaux-mouches
dans leur jardin ! Ce petit sphinx
est indigène dans le Sud de la
France, il survit à l’état adulte à nos
hivers peu rigoureux et peut se ré-
veiller lors d’une belle journée en-
soleillée. À Avranches, il y a deux
ans, il butinait en plein mois de
janvier, à l’étal d’un fleuriste !
Le Sphinx tête-de-mort
Le Sphinx tête-de-mort, Acherontia
atropos Linné, est un habituel visi-
teur de notre département. Si le pa-
pillon est rarement observé, il est
assez fréquent que l’on trouve ses
grosses chenilles si caractéristiques
dans un plant de pomme de terre
où les gelées leur seront fatales.
Le Sphinx livournien
Le dernier représentant de cette fa-
mille n’avait jamais été observé dans
la Manche. Ses apparitions restent
très ponctuelles dans le Nord et il est
très occasionnel en Angleterre. Le
Sphinx livournien, Hyles livornica
Esper, est une espèce cosmopolite
qui se nourrit de gaillets, de fuchsias
et même de vigne, il est indigène
dans la région méditerranéenne. Il
part dAfrique au printemps et, cette
Insectes 17 n°133 - 2004 (2)
Les Noctuelles Heliotis armigera et H. peltigera
année, a atterri à Barenton le 28 juin
afin de fêter avec nous la nuit des pa-
pillons ! En août, un de ses congé-
nères a choisi Carolles comme étape
avant de poursuivre son voyage jus-
qu’au cercle polaire.
LES NOCTUELLES
Certaines noctuelles peuvent égale-
ment se montrer de remarquables
migratrices, capables de traverser la
France en quelques jours. Heliothis
peltigera Denis & Schiffermüller et
Heliothis armigera Hübner font habi-
tuellement des visites sporadiques :
cet été elles ont littéralement colo-
nisé la région. Endémiques en
Afrique, elles y sont un fléau pour
les cultures. La Noctuelle ponctuée,
Mythimna unipuncta Haworth, peut
survivre aux hivers doux. Malgré
cela, elle avait été peu observée jus-
qu’à présent. Au cours des mois de
septembre et octobre, nous l’avons
rencontrée à Carolles, Genêts et
Saint-Loup. La Noctuelle gamma,
Autographa gamma Linné, est habi-
tuellement très commune tous les
ans dans la Manche mais, cet été,
les populations indigènes s’ajoutant
aux flux migratoires ont produit une
véritable invasion ! Ainsi nous
avons pu voir des centaines d’indivi-
dus à la lampe, le soir du 15 août à
Genêts. Lacanobia splendens Hübner,
Macdunnoughia confusa Stephens,
Peridroma saucia Hübner, Agrotis ip-
silon Hufnagel, familiers de notre
région, ont profité de la chaleur
pour arriver en masse.
LES PETITES ESPÈCES
Les petites espèces, plus frêles, doi-
vent profiter des vents et des courants
pour effectuer leurs déplacements.
les Géomètres
Parmi les Géomètres, seulement
deux espèces fréquentent notre ré-
gion. La Vestale, Rhodometra sacra-
ria Linné, nous vient dAfrique du
Nord, il présente une forme jaune
barrée de brun et une superbe
forme rose. Orthonoma obstipata
Fabricius, espèce cosmopolite très
polyphage fait des incursions
chaque année toujours en petit
nombre. Cette saison, on les re-
trouve, à peine plus nombreux que
d’habitude.
Les Pyrales
Les microlépidoptères, essentielle-
ment des pyrales, ont la faculté de
se déplacer sur de grandes dis-
tances. La Pyrale de la luzerne,
Nomophyla noctuella Denis &
Schiffermüller, envahit les champs
de graminées tandis que Udea fer-
rugalis Hübner se montre plus dis-
crète. Palpita unionalis Hübner, ma-
gnifique Pyrale d’un blanc pur,
orné d’un fin liseré brun, a une
grande aire de répartition.
Pourtant, nous ne l’avons observé
que deux fois dans la Manche.
Les lépidoptères diurnes
La migration des lépidoptères
diurnes est un phénomène connu
et étudié. Qui n’a pas entendu par-
ler des pérégrinations du célèbre
Monarque ? Un autre Nymphalidé,
la Belle-dame, Cynthia cardui
Linné, dont les effectifs sont va-
riables selon les années, a été parti-
culièrement présent cette année.
La Vestale
Orthonoma obstipata
La Pyrale de la luzerne
Elle a été très précoce et on a pu la
voir butiner sur les buddleias jus-
qu’au début octobre. De la même
famille, le Petit nacré, Issoria latho-
nia Linné, nous visite régulière-
ment. LAzuré porte-queue,
Lampides boeticus Linné, est un
charmant Lycène amateur de légu-
mineuses et grand migrateur. Il est
autochtone en Afrique du Nord et
en Europe méridionale. Sa der-
nière apparition dans la Manche
datait de 1989, à Carolles. Au mois
d’août, notre collègue G. Besnoit le
voit en grand nombre à Saint-Lô.
En septembre, une femelle se re-
pose en pleine ville, à Avranches.
Si l’on commence à mieux com-
prendre le phénomène migratoire,
en bref…
Insectes 18 n°133 - 2004 (2)
beaucoup de mystères restent à
découvrir, notamment sur les
motivations des Lépidoptères à
toujours remonter plus au
Nord. Les papillons tendant
probablement à agrandir leur
aire de répartition, s’implantent
dans certaines régions pour y
devenir indigènes, formant des
colonies éparses enrichies par
d’autres migrations. Sans doute
que le réchauffement du climat
fera apparaître des espèces jus-
qu’alors inconnues sous nos la-
titudes comme ce Lycène,
Cacyreus Marschalli Butler, qui
envahit la France depuis
quelques années. r
Cet article est initialement paru
dans la revue LArgiope 42
de l’association Manche-Nature
(voir p. 37)
Le Petit nacré
LAzure porte-queue
Les auteurs
Nicole Lepertel, Philippe Guérard et
Jean-Paul Quinette sont lépidopté-
ristes et photographes amateurs. Un
premier inventaire des macrolépido-
ptères du département de la Manche
leur a permis de répertorier à ce jour
plus de 700 espèces. Depuis 5 ans,
ils s’intéressent également aux mi-
crolépidoptères dont ils ont identifié
environ 500 espèces. À terme, ils
souhaitent publier leurs résultats
sous la forme d’une cartographie dé-
partementale, illustrée de leurs pho-
tographies. Un appel à contribution
est lancé : si vous possédez des don-
nées susceptibles de compléter leurs
propres observations, n’hésitez pas à
les contacter ! Parallèlement, les au-
teurs participent également à l’élabo-
ration d’un atlas des Rhopalocères
normands.
Contact : Nicole Lepertel
8, La Bélangerie - 50300 Saint-Loup
Tél 02 33 68 22 48
Entomophagie ordinaire
Les Romains se régalaient de “cossus” (une larve xylophage ?). De nos
jours, les insectes sont des mets appréciés dans différents endroits de
la Planète où ils sont consommés plus ou moins régulièrement. Sans
aller voir plus loin que dans “le plus proche des pays lointains”, les
larves du Grand Capricorne du chêne (Cerambyx cerdo, Col.
Cérambycidé), d’une part, et les imagos du Criquet pèlerin (Schistocerca
gregaria, Orth. Acrididé), d’autre part, sont parfois consommés grillés
par les Marocains (certains d’entre eux…). En Amérique du Nord et en
Europe, quelques restaurants proposent explicitement divers insectes
(frais, grillés, frits, salés, rôtis, en pâte, enrobés…) à quelques amateurs.
Si vous n’êtes pas de ces adeptes, vous n’en êtes pas moins un ento-
mophage régulier (avec une consommation annuelle évaluée à plus
d’1/2 kg), ce dont vous ne vous alarmez d’ailleurs pas du tout. Il est
vrai que vous ne voyez pas les 80 fragments (de cuticule d’insectes)
autorisés dans 100 g de chocolat ni les 75 par 50 g dans la farine qui a
servi à faire le pain qui accompagne la tablette. Il est vrai aussi que ces
éclats de cuticule sont parfaitement inoffensifs.
Les chiffres ci-dessus sont les normes de l’agence états-unienne de sécurité
des aliments et des médicaments (FDA), des seuils de tolérance établis
pour que l’on ne s’efforce pas de produire des aliments indemnes de tout
contaminant entomologique, à grands coups d’insecticides.
L’auteur de cette Épingle, qui a travaillé jadis sur ce problème à propos
du paprika (poudre de piment séché où l’on tolère 75 fragments par
25 g) tient à préciser que ces seuils restent sujets à variations (ils sont
fixés plus bas pour les aliments pour bébé, par exemple) et à interpré-
tation. Car on ne donne pas la même signification à la trace posthume
d’un butineur qui s’est laissé prendre au moment de la récolte du fruit
frais qu’à un morceau du syrphe joliment appelé “Mouche des pisso-
tières” ni qu’à un bout de dermeste spécialiste du tas moisi qui reste
d’une cargaison refusée. Les deux derniers contaminants trahissent la
mauvaise tenue de l’usine (moulin et silo) et leur pré-
sence peut rendre le lot non marchand.
Les contrôleurs, qui effectuent un travail pénible de
reconnaissance de “pièces détachées” (et très mal
découpées !) de nombreuses espèces possibles espè-
rent l’avènement de nouvelles méthodes de détection et
d’identification (immunologie, reconnaissance automa-
tique de formes…).
D’après, entre autres, de Stephanie Bailey, Bugfood II : Insect as food !?!,
sur les pages du département de Zoologie de l’université du Kentuky
www.uky.edu/).
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